Le pèlerinage d’Azrou N’Thor
Elégante enfilade de pics, de dents, de crêtes et d’aiguilles de calcaire dressées à la verticale sur fond d’azur et artistiquement ciselées par l’érosion. Un vrai travail de broderie.
En ce vendredi caniculaire du 11 août 2006, le Djurdjura accueille plus de monde que certaines plages de Kabylie maritime. Cela peut paraître bizarre pour un profane. C’est encore plus surprenant pour les lecteurs de la presse nationale qui a annoncé en manchettes « un vaste ratissage militaire en Kabylie ». Evidement, le ratissage annoncé devait se dérouler en montagne et non en mer. Ni la chaleur, ni le ratissage n’ont dissuadé les visiteurs à se rendre à Azro N’thor (le rocher du Zénith). Cette semaine c’est le village d’Ath Adellah qui prend en charge l’organisation de l’assensu. Ath Adellah est l’un des villages les plus organisés dans la région d’Iferhounene, en Kabylie.
L’Assensu est une offrande pour le saint anonyme d’Azro N’Thor décédé après avoir terminé sa prière du dohr sur ce pic calcaire de 1883 m d’altitude. La vox populi situe cette légende à plusieurs siècles et attribue à ce saint plusieurs pouvoirs dont celui de guérisseur et celui de faire revenir chez eux les immigrés. Pour honorer sa mémoire, les habitants de la région lui ont d’abord bâti un petit mausolée et lui sacrifient chaque année en son honneur une offrande. Ainsi et chaque année, pendant les trois premiers week-ends du mois d’août, les villages de Aït Atsou, Zoubga et Aït Abdellah organisent à tour de rôle l’Assensu.
La manifestation prend de plus en plus d’ampleur dans la région. Elle rassemble des dizaines de milliers de personnes. La sécurité, la bonne organisation, en plus d’une randonnée en montagne sont des aspects qui font que les familles s’y rendent sans crainte à Azrou N’Thor. Cela pour le bref aspect légendaire. Pour l’histoire, cette région d’Azro N’thor, située à quelques kilomètres du col de Tirourda a connu les affres de la guerre contre l’envahisseur français. De Boubeghla à Lalla Fadma N’soumer, les pages de l’histoire de l’Algérie contemporaine ont été réalisé, dans cette région. Qui se souvient de la Paix des Braves ? C’est du haut de ce pic que le général de l’armée française Bigeard avait lancé son fameux appel à la « Paix des braves ».
L’offre a été déclinée par les éléments de l’armée de Libération nationale (ALN) qui ont préféré se sacrifier pour que vive l’Algérie indépendante. Pour le factuel, le vendredi dernier, c’est le village d’Ath Adellah qui a organisé l’Assensu. En dépit d’un manque flagrant de moyens, l’organisation de ce rendez-vous annuel a été parfaite. « Nous ne ménageons aucun effort pour garantir l’entière sécurité aux familles qui nous font l’honneur d’être présentes et c’est pour cette raison que tout ce beau monde vient à notre Assensu » affirme Da l’Hamid un membre du village. Azru N’Thor est situé à 80km au sud-est de Tizi Ouzou et culmine à 1883 mètres d’altitude.
Pour s’y rendre il faut monter la route sinueuse, puis monter et ensuite monter un peu plus…
La forte chaleur n’a pas empêché les visiteurs de faire de l’exercice. Ils savent que la randonnée vaut la peine. Azrou N’Thor est d’abord un site magique époustouflant de beauté où la nature, sur ce pic du Djurdjura révèle ses incroyables pouvoirs. « Je viens de Blida mais ce n’est pas le même décor avec les monts de Chréa, ici il y a comme une âme, de l’émotion…enfin je n’arrive pas à trouver le mot exact » s’émerveille une jeune femme venue de Blida accompagnée de sa fille. Fabuleux Djurdjura ! Il possède des atouts naturels d’une indéniable beauté. Ses reliefs escarpés illustrent ce riche passé et rappellent que depuis l’aube des temps, le Djurdjura attire la fureur des batailles à la douceur de vivre. « Bien avant la guerre d’Indochine, l’armée française a fait l’amère expérience dans cette région du Djurdjura » rappelle un ancien maquisard venu « se ressourcer à Azrou N’thor comme chaque année ». Sous un ciel à l’éclatante luminosité, déchiquetées par les vents ou adoucies par l’érosion, les roches nues éblouies de soleil éclaboussent de leur blancheur le maquis verdoyant en ce mois d’août. Dans un chaos sauvage et ordonné, la tectonique a composé un paysage torturé à la fois hostile et envoûtant. Une fois de plus, pour nous surprendre, la nature a fait jouer son art.
Ainsi dans cette partie de l’Algérie, habile et créative, cette nature a découpé un paysage tout en relief dont elle seule a le secret. Elégante enfilade de pics, dents, crêtes et aiguilles de calcaire dressées à la verticale sur fond d’azur et artistiquement ciselées par l’érosion. Un vrai travail de broderie. Azrou N’tour c’est à peu près tout cela : le mythe, le ressourcement, la beauté du paysage et le tourisme en rase montagne. La fête a été parfaite. Elle l’aurait été davantage avec un peu de publicité