ENFIN UN FILM FRANCO – KABYLE
Cinéma/Tennayi Yemma de Younès Boudaoud dans les salles
Premières projections au cinéma d’Aubervilliers et à la salle de BRTV
Ce n’était pas une blague !!! Après les rumeurs qui circulaient, le film franco kabyle, écrit et réalisé par Younès Boudaoud intitulé ?tannayi yemma? (ma mère m’a dit) est bel et bien sorti dans les salles.
Ce nouveau film d’expression kabyle, dans lequel ont participé Tahar Yami en prise d’images et en montage, Ahcène Marghna et Moussa Katy, semble d’ores et déjà gagner l’estime du public kabyle si on voit à quel point il a drainé des foules dans les salles où les premières projections ont eu lieu, au cinéma d’Aubervilliers- quatre ?chemins où a eu lieu l’avant-première dimanche en présence d’un public nombreux composé essentiellement de journalistes, d’artistes kabyles en l’occurrence Kamal Hammadi, Igman, Hamid Matoub, Lekhdar Sennane, ainsi que les acteurs et leurs familles, les amis et membres de l’association Fadhma n’Soumer. Quant à la première entrée payante, elle a eu lieu dimanche à 16h00 à la salle des spectacles de la chaîne de télévision berbère BRTV. Le succès battait son plein et le public assoiffé et curieux de découvrir ce film événement, était au rendez-vous au point où il avait fallu une deuxième projection de suite pour satisfaire tout le public dans une salle qui semblait être exiguë pour contenir ces centaines de personnes rassemblées devant le siège de la chaîne et qui attendait impatiemment pendant des heures. En effet, durant les deux journées de projection, c’est un Younès Boudaoud très heureux, tout en sachant que son ?nouveau-né? n’échappera pas aux critiques du public et des spécialistes. Le réalisateur très élégant, de surcroît chanteur humoristique ? ce métier qu’il aurait bien voulu exercer depuis longtemps ? Avec son visage expressif et un sourire plein de courtoisie mais qui ne cache pas une grande audace ;
En tous cas ce film en est un !!! Younès nous invite à le voir mais il nous prévient dès le début : ?Ce n’est pas un film parfait mais c’est un film nécessaire? puis il s’adresse au public curieux de découvrir cette nouvelle sortie de leur chanteur-coqueluche : «on a réalisé ce film par défi, par abnégation, par beaucoup de travail et de sacrifice maintenant, c’est à vous de le juger de l’accepter ou de ne pas l’accepter??. Il enchaîne en s’appuyant sur sa canne- celle de cheikh Younès, le rôle qu’il interprète dans le film ? ?L’argent que j’ai gagné dans ma carrière artistique, je n’ai pas acheté un café avec, je l’ai mis dans ma culture je l’ai rendu par ce film que je considère comme mon fils?. Enfin le film commence? c’est l’histoire de Doudouche (Lamia Mahiout) une ravissante jeune fille, issue de l’immigration qui vit qu’avec sa mère Noura (Haddad Ourdia) : ayant perdu son mari, Noura veut que sa fille épouse Belaïd (Lounès Semsoum), son cousin venu du bled pour conquérir sa cousine mais aussi la carte de résidence !!! Doudouche n’aime pas Belaïd, elle ne veut pas l’épouser? mais lors de leur séjour en Kabylie, la jeune fille perd sa mère tragiquement et le calvaire de la jeune demoiselle contrainte, par ses cousins, de rester en Kabylie commence? C’est une histoire tellement simple et réaliste, loin des contes de fée, qu’elle nous interpelle facilement et capte instantanément nos consciences. Les acteurs et actrices, Beldjoudi Yamina, Said Lhadj Ouali, Ben Alia Youcef, Ould Saadi Lounis, Galopin Mélina, Elisabeth Ningre, Brahim Boudia et Na Ouiza dont la majorité est non professionnelle et qui se produit pour la première fois, n’ont pas joué mais ont vécu pleinement le film. Ils se sont livrés le plus naturellement possible à l’histoire dans laquelle ils jouent. Ce récit, tourné en Kabylie et en France, relate tant bien que mal cette réalité des jeunes entre les deux rives, d’un côté, les sans papiers en France et de l’autre les jeunes du pays voulant partir coûte que coûte. Leur périple, leur mésaventure, avec une prise de conscience de tous les enjeux que cette situation impose à savoir l’enjeu de la régularisation ou le mariage pour la régularisation hypothéquant même sa vie sentimentale en réalisant un mariage blanc juste pour vivre en France. Le film pose les problématiques suivantes : Est ce que c’est concevable d’épouser une fille uniquement pour les papiers puis l’abandonner comme un kleenex après la régularisation ? Est-ce qu’il ne peut pas y avoir une belle histoire d’amour sincère entre un jeune sans papiers et une fille issue de l’immigration et dont le mariage dépasserait cet enjeu : la carte de résidence ? Dans ce film, le réalisateur veut que l’amour gagne à la fin mais à quel prix ?? Et pour la régularisation, il existe bien d’autres issues entre autres celle montrée dans le film quand Mélina, l’assistante sociale de Doudouche, venue spécialement la chercher en Kabylie, explique au jeune Prikous, les modalités et les procédures administratives pour venir, vivre et s’intégrer en France? Il faut dire que beaucoup parmi le public étaient étonnés de voir un film qui tient la route malgré le manque de moyens et la non expérience du réalisateur qui n’a jamais exercé dans le septième art. L’histoire est tellement bien interprétée que les spectateurs n’hésitaient pas à venir féliciter Younès Boudaoud. Il faut dire que ce téléfilm fait partie d’une catégorie qui ne manque pas d’importance car même s’il est réalisé avec des petits moyens il a des atouts à faire valoir et l’exemple le plus pertinent est ?l’Esquive? réalisé par Abdellatif Kechiche en 2003 qui raconte la difficulté des jeunes à vivre dans une cité et dont le tournage a eu lieu en banlieue parisienne à Saint Denis. Réalisé avec des jeunes acteurs qui n’ont jamais joué auparavant, ce long métrage a été primé lors du festival de Belfort en 2003 et a eu le césar du meilleur film, meilleur réalisateur, meilleur scénario original et meilleur espoir féminin en 2005. Ce film réaliste, qu’on qualifie souvent de petit, peut avoir sa place dans les plus grands festivals du cinéma. ?Je ne suis ni un historien ni un sociologue, je suis un artiste qui fait des constats. Je voudrais, à travers ce film, traiter d’une réalité qui devient une impasse pour nos jeunes immigrés tout en restant dans les contextes de la rue car je suis un homme qui écoute beaucoup la rue. Ce film est un message d’espoir mais aussi une forme de passerelle pour que nos jeunes, issus des deux rives, se comprennent, se côtoient et s’aiment? nous confie le réalisateur. Tahar Yami qui a contribué par ses connaissances et moyens techniques et son expérience dans le tournage et le montage, avec sa boite de production VIPIXEL nous a confié : ?On était parti avec des moyens vraiment dérisoires. On n’avait que notre volonté, toute l’équipe était bien soudée et vous voyez le résultat ! Quand on voit ce public répondre et venir nombreux, je crois que la réussite est là ! Tous les efforts qu’on a fait durant une année et plus, tous ses sacrifices pour relever ce pari fou, commencent à payer. Aujourd’hui, je suis vraiment satisfait de notre travail même si on aurait bien voulu qu’il soit meilleur?. Il faut dire que ce film, qui commence à créer l’événement, se distingue d’abord par les circonstances et les conditions dans lesquelles il a été réalisé ; aucune subvention, aucun sponsor et aucune aide de l’Etat. D’autre part, le sujet traité avec audace reste toujours tabou mais grâce au courage et à la rage de défier la chronique de sortir du stéréotype et des réflexes conditionnés dans lesquels sombre la création culturelle nationale en général et kabyle en particulier. Ce film a pu voir le jour. 0Ce long métrage n’est qu’un miroir dans lequel on peut s’observer et se reconnaître car il ne fait pas que montrer nos défauts mais il nous donne aussi droit à la réflexion pour d’éventuelles réponses aux questions actuelles socio-économiques et culturelles. C’est un appel pour désamorcer ce conflit de génération qui handicape notre société. L’indifférence et la perte de nos valeurs morales envers nos enfants sont dues par l’évolution subite imposée par les technologies de l’époque actuelle. En attendant sa projection en Algérie, prévue et promise par le réalisateur pour cet été, ?Tennayi Yemma? sera projeté samedi prochain au cinéma d’Aubervilliers et une tournée est prévue en France où une série de projections seront organisées dans les grandes villes.
De Paris, Djillali Djerdi